Une horloge est une horloge est une horloge…
S’inscrivant dans le réel, les objets techniques qui nous entourent finissent invariablement par porter les « marques du temps », même si la continuité de leur processus d’usure ne s’observe pas toujours à l’œil nu. Nous ne pouvons qu’en constater l’évolution… « avec le temps », justement, un moment servant de repère à un autre : un livre ou un téléphone portable neufs en comparaison aux pages jaunies ou l’écran rayé, etc. A l’instar de n’importe quel outil, ceux qui indiquent le temps vieillissent aussi. Toutefois, ceux-ci affichent le temps qui « s’écoule » à mesure qu’il « s’écoule » à travers eux. Leur numération transcrit le passage des états de la matière qui les compose et qui se renouvelle sans cesse, c’est-à-dire qui se crée et périt en permanence. Cette indication reste une imitation approximative, et donc avant tout une convention. A l’image des êtres humains qui les ont conçues, les « horloges » (entendues ici comme l’ensemble des instruments qui scandent la durée) s’évertuent cependant à reproduire un phénomène dont elles peinent à rendre compte : tautologiques en cela, elles « redisent » ce qu’il leur arrive effectivement lorsqu’elles traversent l’étendue temporelle. L’origine grecque du terme, hôro-logion, ne suggère d’ailleurs pas autre chose, puisqu’il signifie littéralement « ce qui dit l’heure ». Les horloges ordonnent un continuum de façon ostensible : en sachant que le mot n’est – presque jamais – ce qu’il désigne, elles énoncent simplement ce qui est.
Il y a, dans les œuvres de Vincent Delmas, une inclination infuse à la tautologie. Ou, pour le formuler plus précisément, à pointer et à réagencer les mécanismes de l’évidence. Celles qui font du temps leur sujet et leur matériau fonctionnent de manière similaire aux horloges : elles disent le temps, ni plus, ni moins, à la différence près que l’artiste joue avec les limites qu’imposent la convention. Son Horloge parlante, qui étend la prononciation de l’heure qu’il est (pour rappel, celle-ci se détermine par rapport à l’attribution du temps universel dans un fuseau horaire donné, quelle que soit la position occupée au sein de ce dernier) sur le temps de sa propre existence officielle (chaque heure – « qu’il est » – de la journée dure une minute). Quelques années plus tôt, à l’intérieur du même lieu d’exposition qu’aujourd’hui, Vincent Delmas montrait Les durées exposées : déterminant les temps d’ouverture de l’église des Trinitaires, elles n’affichaient rien d’autre que l’expression d’un intervalle temporel en cours.
Vincent Delmas se contente souvent de recycler et de corriger des objets communs, concrets ou abstraits, déjà présents. Il leur applique une logique pointilleuse découlant des propres mécanismes de leurs champs d’emprunts. Il n’en va pas autrement pour ses œuvres qui s’appuient sur des formulations du temps se voulant exactes. Avec 3 minutes d’avance pour l’éternité, l’artiste soulève une question de conservation patrimoniale qui aurait pu passer inaperçue. La pièce vient pourtant poser un dilemme crucial, dont l’Histoire aura à porter le sens : le projet de restauration de la cathédrale de Notre-Dame de Paris doit-il conserver le décalage entre les deux horloges du transept occidental, à l’arrêt depuis l’incendie dévastateur récent de l’édifice, ou doit-il les remettre à l’heure – « qu’il est » –, supprimant le retard et l’avance de l’une comparée à l’autre ?
Les œuvres de Vincent Delmas peuvent parfois donner l’impression de déformer le temps : elle se bornent au contraire à en éprouver l’idée que nous nous en faisons.